Demorand – Les aérosols au cœur de la lutte contre le Covid-19
La transmission par aérosols du Covid-19, désormais acquise, rebat les cartes des gestes barrières et du combat contre le coronavirus.
Nous ne sommes plus à un revirement près dans l’appréhension des modes de contamination par le Sars-CoV-2. Après le désormais célèbre « les masques ne servent à rien » en mars 2020 et la frénétique désinfection des surfaces sur lesquelles le virus se déposerait, il semble désormais acquis que nous avions à peu près tout faux sur la manière dont nous transmettons le Sars-CoV-2. Si l’on ne peut évidemment pas exclure la transmission par les postillons, bien qu’elle n’ait pas été démontrée à ce jour, ni par la contamination des surfaces, un consensus émerge sur les aérosols qui semblent cocher toutes les cases nous permettant de comprendre comment l’épidémie a pu diffuser si vite autour du monde.
Ce nouveau regard rebat les cartes et oblige à revoir notre manière d’envisager nos interactions quotidiennes afin de retrouver un semblant de vie normale dans les prochains mois, tout en cohabitant avec le Sars-CoV-2 et dans l’attente d’une immunité vaccinale et naturelle. Afin d’illustrer cette problématique, un article en prépublication parue dans The Lancet pose les bases du mécanisme de transmission aérosol du coronavirus.
Les auteurs de ce papier démontent l’hypothèse d’une transmission par l’émission de grosses gouttelettes qui retombent rapidement, les postillons, et dont la cinétique pourrait être enrayée par les gestes barrières tels que nous les pratiquons depuis des mois déjà. Ils émettent l’hypothèse d’une transmission du Covid-19 par voie aérienne et développent leur raisonnement en dix points.
Supercontaminateurs et intérieurs
Tout d’abord, les auteurs évoquent les épisodes de supercontamination qui sont survenus dans des salles de concert, navires de croisière, écoles, foyers ou églises et qui ont vu certaines personnes être infectées à longue distance d’un supercontaminateur, ce qui exclut de fait la transmission par postillon. En outre, des cas de transmission à longue distance entre personnes n’évoluant pas dans la même pièce ont été relevés, comme dans cet hôtel de Nouvelle-Zélande où résidaient des voyageurs en quarantaine.
La transmission par des personnes asymptomatiques représenterait de 30 à 60 % de l’ensemble des transmissions alors que ces individus ne toussent pas. Les auteurs rappellent que nous émettons des millions de microparticules aérosols quand nous parlons contre quelques grosses gouttelettes. Alors que les gouttelettes retombent rapidement au sol, ou sur une surface à proximité, les gouttelettes aérosols restent en suspension dans l’air pendant plusieurs minutes à plusieurs heures. C’est ainsi que nous sommes susceptibles d’être infectés en respirant l’air vicié d’une pièce non aérée dans laquelle un individu malade aurait excrété des aérosols.
Les auteurs rappellent que la très grande majorité des infections ont lieu à l’intérieur (95 %) ce qui accrédite encore plus l’hypothèse de la transmission par aérosols, de même que l’on a vu de nombreuses infections nosocomiales à l’hôpital où toutes les précautions étaient prises contre la transmission par gouttelettes. Des expériences ont relevé la persistance de Sars-CoV-2 dans l’air ambiant pendant trois heures contrairement à la rougeole ou la tuberculose qui sont deux maladies qui se transmettent par voie aérienne et dont nous n’avons jamais retrouvé de traces dans l’air ambiant. L’analyse de filtres à air dans les hôpitaux, dans lesquels le Sars-CoV-2 a été identifié, ne fait que confirmer l’hypothèse, ces endroits ne pouvant être atteints que par des aérosols. Dans le même esprit, une étude portant sur des animaux en cage infectés qui ont contaminé d’autres animaux aussi en cage mais à distance démontre que la transmission n’a pu avoir lieu que par des aérosols.
Les auteurs de la publication du Lancet sont affirmatifs : « Il existe des preuves cohérentes et solides que le Sars-CoV-2 se propage par transmission aérienne. Bien que d’autres modes de transmission puissent exister, nous pensons que la voie aérosol est susceptible d’être dominante. Il faudrait donc agir en conséquence et sans tarder. »
Comment agir ?
Qu’est-ce que ça signifie en pratique ? D’abord qu’il faut identifier toutes les situations à risque que sont les pièces fermées plus ou moins bien ventilées. Les salles de classe, les bureaux, les cantines et restaurants d’entreprise, les salles de spectacle et de cinéma, les restaurants et les voitures. Dans tous ces lieux, il est urgent de définir des protocoles d’aération, de ventilation, de traitement de l’air à la hauteur des enjeux, de la mise en place de capteurs de CO2 au traitement de l’air par des mécanismes plus ou moins importants. L’aération régulière des pièces pourrait bien être le geste barrière le plus efficace avec le port systématique du masque en intérieur.
Des procédés ingénieux font surface à l’instar de mini-filtres placés sur des tables de restaurant qui sont actuellement testés à Big Sur en Californie. Dès que cela est possible, il faut ouvrir les fenêtres des salles de classe, des bureaux, de la maison ou du taxi. A contrario, nous pourrions parfaitement envisager de lâcher un peu de lest sur les activités en extérieur, comme les terrasses de restaurant, les concerts avec une jauge et le port du masque en extérieur qui n’a, à ce jour, aucune justification scientifique. La prise en compte de la transmission par aérosols, et l’adaptation de tous les protocoles qui sont désormais obsolètes, est une urgence de la même ampleur que la vaccination des populations. Une urgence de santé publique.